Françoise Laurant : « L’IVG n’est pas encore un droit acquis en France »

Toute sa vie, Françoise Laurant, ancienne présidente du Planning familial et membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), s’est battue pour les droits des femmes. Militante dans l’âme, elle a notamment participé à la lutte collective qui a conduit à la légalisation de l’avortement en 1975. Interview.

Vous avez participé dès le départ à la lutte qui a conduit au vote de la loi Veil en 1975. Comment vous êtes-vous lancée dans ce combat ?

Françoise Laurant. – Après Mai 68, je me suis installée à Grenoble pour enseigner à l’université et, peu après, j’ai intégré le PSU (Parti socialiste unifié, NDLR) local. A ce moment-là, ce qui me préoccupait le plus de façon militante, c’était plutôt le système éducatif. Je savais que l’égalité filles-garçons était un enjeu important, mais venant d’une famille où cette égalité était respectée, je n’étais pas directement concernée. Plusieurs événements ont précipité les choses : le manifeste, en 1971, des 343 femmes qui revendiquaient le fait d’avoir avorté, le procès de Bobigny en 1972 (une jeune fille, défendue avec succès par l’avocate Gisèle Halimi, était jugée pour avortement, NDLR), l’arrivée de la méthode de Karman (l’IVG par aspiration) et son utilisation illégale par des médecins et des étudiants en médecine… La loi Neuwirth sur la contraception avait été votée en 1967, mais aucun décret d’application n’était encore paru. Tout cela a contribué à la création, en 1973, du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), qui regroupait des militantes du Planning familial, des médecins, des syndicats et les partis politique de gauche. Moi, j’y représentais le PSU, toujours à Grenoble. Cela m’a permis de faire le rapprochement auquel j’aspirais depuis longtemps : être à la fois dans le politique et dans l’action de terrain. Par la suite, j’ai intégré la troisième mandature Dubedout à Grenoble, en tant qu’adjointe à la santé, pour m’occuper de ces questions.

En 2013, en tant que présidente de la commission Santé du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), vous avez fait adopter un rapport pour améliorer l’accès à l’IVG en France. Parmi vos propositions, certaines ont été appliquées, dont la suppression, dans la loi, de la notion de « situation de détresse » et du délai de réflexion de huit jours. En quoi était-ce nécessaire ?

Pour établir ces propositions, nous sommes partis des problématiques rencontrées par les femmes sur le terrain et nous avons adopté une approche globale. Pour la première fois, un véritable état des lieux était effectué. Et il y avait cette question du tabou qui était alors très liée à la notion de détresse. Alors que l’IVG est un droit, les femmes se sentaient toujours obligée de démontrer qu’elles avaient de bonnes raisons d’y recourir. Les parlementaires ont supprimé cette notion de la loi, pour réaffirmer que l’IVG est un véritable droit pour les femmes : pas besoin d’argumenter, de se justifier. Quant au délai de réflexion de huit jours, il était vécu par les femmes comme un manque de confiance, comme si elles n’étaient pas capables de savoir ce qu’elles voulaient.

Depuis, d’autres éléments ont permis de renforcer ce droit, comme l’habilitation des sages-femmes à pratiquer des IVG médicamenteuses ou le remboursement intégral de tous les actes liés à l’IVG en 2016. Aujourd’hui, l’IVG est-elle enfin devenue un droit acquis ?

Malheureusement non, l’IVG n’est pas devenue un droit que l’on peut considérer comme acquis. Lorsque Marisol Touraine, ministre de la Santé, a lancé son plan d’amélioration de l’accès à l’IVG en 2015, elle a par exemple précisé que les hôpitaux devaient pouvoir informer les femmes de toutes les méthodes d’IVG existantes et être en mesure de leur fournir la méthode souhaitée. Or, sur le terrain, ça n’existe pas, et cela n’aide pas les femmes à se sentir maîtresses de leur décision. On choisit toujours à leur place. Et vous savez, il y a encore de nombreux professionnels de santé qui invoquent une pseudo-clause de conscience pour ne pas faire d’IVG. C’est par là que la situation se dégrade. Enfin, concernant les distances à parcourir pour obtenir une IVG, rien n’a changé depuis 2013. Afin d’améliorer les choses, il faudrait une campagne publique et nationale d’information qui explique clairement que l’IVG est un droit et que toutes les femmes peuvent y avoir recours, de la façon qu’elles souhaitent. Pour cela, la clause de conscience, qui permet aux médecins de refuser de pratiquer une IVG, devrait évidemment être supprimée. Enfin, je pense aussi que toutes les agences régionales de santé devraient mettre en place des plan régionaux d’amélioration de l’IVG.

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