Anne Giersch, directrice du laboratoire de neuropsychologie cognitive et physiopathologie de la schizophrénie à l’Inserm de Strasbourg et membre de la fondation Fondamental, mène une étude sur les effets du confinement sur la santé mentale. Elle nous explique que la façon de vivre une telle situation est propre à chacun et qu’elle dépend de très nombreux facteurs : les conditions socio-économiques, la taille du logement, le fait d’être seul ou en famille, ou encore la poursuite ou non de l’activité professionnelle.
En quoi consiste l’étude que vous avez lancée fin mars ?
Cette enquête est destinée à évaluer les conditions du confinement, l’environnement social et le bien-être mental des personnes pendant cette période inédite. Avec mon équipe, nous avons élaboré un protocole de recherche avec un questionnaire portant sur la santé en général, l’inquiétude face au risque de contamination, la qualité du réseau social avant et pendant le confinement, le niveau de stress, les angoisses, etc. Finalement, 200 personnes ont accepté de participer, elles ont reçu deux questionnaires pendant le confinement et en recevront un troisième dans quelques semaines. Durant cette période, nous leur avons également demandé d’écrire quotidiennement une dizaine de lignes pour relater leur expérience personnelle. C’est ce qui fait l’originalité de notre étude : au lieu de prendre une mesure à un temps T, nous suivons l’évolution des participants au cours du temps.
Avez-vous déjà de premiers résultats ?
Nous procédons actuellement à plusieurs niveaux d’analyse, et nous devrions être en mesure de produire les premiers résultats d’ici quelques mois. Pour le moment, on retrouve les mêmes éléments que dans les études épidémiologiques menées à ce sujet, c’est-à-dire essentiellement la montée du stress et quelques idées dépressives.
Quels sont les impacts psychologiques que l’on observe habituellement dans la littérature scientifique (*) ?
Il y a trois grands effets qui apparaissent avec un confinement comparable à celui que l’on vient de vivre : l’ennui, le stress, qui a également un impact sur le sommeil, et la diminution des contacts sociaux. Mais nous ne sommes pas tous égaux face au confinement. La façon dont on réagit dépend de nombreux facteurs : les conditions sociaux-économiques, la taille du logement, le fait que l’on soit seul ou à plusieurs, la façon dont on a accès aux autres, même de balcon à balcon, l’ambiance au sein de la famille, la présence de violences, le fait que l’on soit sécurisé vis-à-vis de son emploi, etc. Concernant l’ennui par exemple, il y a des profils susceptibles de réagir très négativement. Certaines personnes qui travaillaient avant le confinement ont dû s’arrêter du jour au lendemain. Elles se sont retrouvées sans but, avec le risque de remettre en question tout ce qu’elles ont fait pendant leur vie, de ressentir des regrets ou de la culpabilité. De plus, on n’a plus la sensation de succès que l’on peut avoir quand on travaille. C’est-à-dire qu’on se fixe des objectifs à atteindre, on y arrive, et on se fixe de nouveaux objectifs. C’est ce qu’on appelle le sentiment de « flow ». Si on n’a plus ça, on peut en profiter pour faire autre chose, mais on peut aussi se sentir inutile et ne plus avoir de plaisir. Et c’est aussi comme ça que l’on peut expliquer l’émergence des addictions susceptibles d’apparaître en situation de confinement.
Revenons au stress. Ici aussi, on ne réagit pas tous de la même manière.
Oui, et les causes du stress ne sont pas non plus les mêmes chez tous les individus. Si l’on est exposé à des violences, on peut craindre de mourir par exemple. Les soignants, les caissières, tous ceux qui ont potentiellement plus de risques d’être en contact avec des sujets infectés peuvent avoir une source de stress très importante. Chez les soignants, qui doivent faire face à de nombreux décès, la littérature scientifique rapporte notamment des états de syndrome post-traumatique à distance. On peut se demander dans quelle mesure on peut aussi vivre cet état par personne interposée, par exemple via les informations que l’on regarde à la télévision.
Imaginons une personne seule, confinée chez elle, avec peu de contact avec l’extérieur. Quels sont ses risques psychologiques ?
Ce que l’on a observé pour les voyages dans l’espace ou dans le Grand Nord, dans des situations d’isolement extrême, est essentiellement du stress, de la dépression et des troubles du sommeil. De plus, il n’est pas impossible de développer des hallucinations. Cela est lié à la théorie de désafférentation sensorielle et sociale : lorsqu’un individu n’a plus de contact avec les autres, il est privé de certaines stimulations sensorielles qui ne parviennent plus au cerveau. Dans certains cas bien spécifiques, ces manifestations peuvent être annonciatrices de symptômes psychotiques. Mais cela ne veut pas dire que tous les confinés vont développer des maladies mentales ! Simplement, notre cerveau peut nous jouer des tours. Et puis, dans toutes ces études, lorsqu’il y a des hallucinations, elles disparaissent après le confinement.
Le déconfinement vient de commencer mais les personnes âgées ans sont invitées à rester chez elles pour le moment. Quels conseils peut-on leur donner ?
D’une manière générale, il est fondamental de conserver des horaires fixes, identiques à ceux que l’on a en dehors du confinement. Ne pas respecter ces horaires, cela veut dire ne plus dormir, ou mal dormir. Cela entretient l’anxiété et vice versa. Pour les personnes âgées, le plus difficile c’est l’absence de contact. Dans les maisons de retraite ou les services de gériatrie, on observe ce que l’on appelle le syndrome du glissement : sans contact avec l’extérieur, la personne se laisse aller, elle n’a plus de raison de vivre. Il faut absolument garder ce lien avec les proches. C’est ce qui a été fait pendant le confinement : les équipes ont essayé de maintenir ce contact avec les nouvelles technologies pour que les résidents sachent que leurs familles pensent à eux. Des médecins, des infirmières ou des aides à domicile ont continué à se déplacer chez les personnes âgées isolées pour apporter un peu de compagnie.
Le déconfinement peut donner lieu à des sentiments très contradictoires : de la joie, voire de l’euphorie, mais aussi de la peur. Comment gérer tout ça ?
Ici aussi, chacun réagit différemment. Certains ont absolument besoin de contact et ont attendu le déconfinement avec impatience, et d’autres le redoutaient par peur de reprendre le train par exemple et de quitter à nouveau leur famille et leurs enfants. L’idée est surtout de se réhabituer progressivement. Les changements brutaux de situation sont toujours très chargés émotionnellement. Pour surmonter ça, on peut aussi écrire, réfléchir à plusieurs, partager nos expériences. Et bien sûr, ne pas hésiter à consulter si ça ne va pas. Ce n’est jamais une honte de demander de l’aide ou simplement d’avoir besoin de parler.
(*) Des études ont déjà été réalisées sur les effets psychologiques de la mise en quarantaine, lors des épidémies de Sars, d’Ebola ou de H1N1.
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