Dans son dernier ouvrage, Stress, hypersensibilité, dépression : et si la solution venait de nos bactéries ?, le professeur Gabriel Perlemuter, chef du service hépato-gastro-entérologie et nutrition à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart, revient sur les pouvoirs cachés de notre microbiote intestinal. Il nous explique que ce dernier joue non seulement un rôle sur notre digestion mais qu’il agit également sur le fonctionnement de notre cerveau et sur notre comportement.
Vous commencez votre livre en expliquant que nous, êtres vivants, humains en particulier, sommes constitués de milliards de bactéries qui font intégralement partie de nous et dont nous ne sommes pas vraiment séparés…
Effectivement, nous sommes des êtres symbiotiques. Nous avons nos propres cellules, notre propre conscience, nos propres organes mais, en nous, et notamment dans notre tube digestif, vivent 100 000 milliards de bactéries. Si on les regroupait toutes ensemble, elles pèseraient 1,5 kilo. Malgré leur nombre extrêmement important, elles ne nous rendent pas malades. Il existe une parfaite symbiose entre elles et nous, c’est ce qu’on appelle « l’holobionte », l’être symbiotique.
Et si on veut aller plus loin et parler d’une santé globale sur terre, on peut rappeler que les êtres vivants les plus importants quantitativement sont les bactéries. Tout cela doit donc vivre en parfaite harmonie pour que la planète reste en bonne santé. Au moindre dérèglement, les conséquences peuvent être graves.
Vous précisez que ces bactéries, celles du microbiote intestinal, ont un rôle central sur le fonctionnement de notre organisme et notamment sur notre digestion. Quelles sont leurs autres fonctions ?
Oui, notre microbiote intestinal interagit avec la digestion et ces bactéries ont aussi un rôle majeur sur notre immunité, notre poids, ou encore notre foie. Lorsque quelque chose ne va pas et qu’elles ne fonctionnent pas bien, cela va causer un dérèglement qui peut conduire à des maladies comme le diabète ou l’obésité.
Mais les dernières recherches nous apprennent que le microbiote agit également sur le cerveau et sur notre comportement. Il peut avoir un rôle dans l’apparition des addictions, de l’anxiété ou de la dépression par exemple. On suppose même que ces bactéries pourraient jouer un rôle dans les troubles du spectre autistique, la maladie de Parkinson ou Alzheimer. C’est une grande nouveauté : on sort ainsi du schéma traditionnel du « brainocentrisme » dans lequel le cerveau contrôle tout.
Comment peut-on agir sur l’équilibre de notre microbiote ?
Cela passe notamment par l’alimentation. Notre façon de nous nourrir a beaucoup changé en très peu de temps. Aujourd’hui, nous avons une alimentation très transformée, industrielle, pauvre en fibres, riche en céréales, en féculents, en graisses, avec des additifs alimentaires… Tout cela fait que notre microbiote s’appauvrit et devient moins diversifié.
C’est cet appauvrissement qui participe à la genèse des maladies que nous venons d’évoquer. On a montré que la malbouffe comme les hamburgers modifiait profondément le microbiote des souris. Avec un tel régime, les chercheurs ont constaté qu’elles devenaient également anxieuses et dépressives.
Pour améliorer le microbiote, il faut une alimentation où l’on limite les apports en graisses, en sucres, c’est-à-dire pas seulement le simple morceau de sucre mais aussi les pâtes, le riz, les pommes de terre, le pain, les jus de fruits, les sodas et l’alcool, évidemment.
Le régime de type méditerranéen, riche en fruits et légumes, est par exemple très bon pour le microbiote. Enfin, vous pouvez aussi utiliser des probiotiques sous la forme de compléments alimentaires. Ce sont des bactéries, des levures, dont l’ingestion a des effets bénéfiques sur la composition de la flore intestinale.
Il existe une grande variété de probiotiques, lesquels conseillez-vous en particulier ?
Oui, il y a différentes souches et chaque souche a des propriétés différentes. En cette période complètement stressante, génératrice d’anxiété, et en cas de coup de stress, de fatigue ou de blues, vous pouvez prendre ces trois souches : bifidobacterium longum, lactobacillus helveticus et lactobacillus rhamnosus. Je les prescris souvent à mes patients. Elles ont aussi un effet bénéfique sur la digestion. Vous pouvez aussi demander conseil à votre médecin ou à votre pharmacien.
Selon vous, ces pouvoirs du microbiote sont porteurs de grands espoirs en matière de thérapeutique, c’est-à-dire ?
Grâce à l’analyse du microbiote, on peut parfaitement imaginer que l’on fera évoluer les traitements des maladies en ciblant le microbiote de façon individualisée. Avec mon équipe, nous travaillons actuellement sur la façon d’identifier, en fonction de votre profil de microbiote, quel type d’antidépresseur sera le plus efficace sur vous.
Nous pouvons aussi imaginer qu’à l’avenir, nous pourrons utiliser des probiotiques dédiés, par exemple des psychobiotiques pour les maladies qui impliquent le cerveau. L’analyse du microbiote pourra également aider à prédire le risque de certaines futures maladies, ce qui permettra, je l’espère, de modifier l’histoire naturelle de ces pathologies et même de les prévenir. Mais nous n’en sommes encore qu’au tout début de la recherche.
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