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Patrick Pelloux : « Tous les dysfonctionnements médico-psycho-sociaux se retrouvent aux urgences »

L’Association nationale de la presse mutualiste (ANPM) a invité, le vendredi 14 octobre, lors de sa 63e assemblée générale, Patrick Pelloux à échanger sur les crises qui frappent le système hospitalier. Le médecin urgentiste a soulevé deux pistes de solution : remettre la garde obligatoire et rouvrir des lits d’aval.

Le 14 octobre dernier, dans le cadre de la 63e assemblée générale de l’Association nationale de la presse mutualiste (ANPM), l’urgentiste Patrick Pelloux est intervenu à l’occasion d’une table ronde consacrée à « L’hôpital en crise ». Ce dernier s’est plus précisément exprimé sur la crise du système hospitalier et des urgences, sur la pénurie de personnel, sur le recours à la téléconsultation et, dans ce contexte, sur le rôle de la presse mutualiste pour lutter contre les fake news et la désinformation.
Dominique Joseph, secrétaire générale de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF), Dalila Cousin, présidente de l’ANPM et François Fillon, rédacteur en chef à l’agence éditoriale CVM, étaient également présents pour interviewer le professionnel et apporter leur éclairage.

Une crise profonde du personnel

Pour Patrick Pelloux, la crise de l’hôpital public et des urgences, c’est avant tout « une crise du personnel ». Devant faire face à « une gestion permanente de crise », l’hôpital se trouve aujourd’hui dans une situation que le spécialiste juge « catastrophique ». En cause, « l’échec de la formation du personnel et de Parcoursup » auquel s’ajoute la perte de sens pour les professionnels de santé.
Face à la pénurie de soignants et au manque d’attractivité de l’hôpital public, le premier levier à activer serait celui de la rémunération : « On ne peut relancer la machine qu’en augmentant les salaires », insiste-t-il. Si le Ségur de la santé a bien donné lieu à une augmentation, celle-ci a été distribuée sous forme de prime (183 euros net par mois – NDLR), une gestion « maladroite », estime le médecin urgentiste.
Le management des équipes est, selon lui, également à revoir, défendant à ce titre un processus de démocratie participative. Lors de la crise du Covid, « des infirmières qui se proposaient d’elles-mêmes de façon autonome en renfort n’ont pas été correctement traitées. (…) On les a mal logées, dans des cités universitaires sans chauffage… ». Depuis, le personnel n’est pas revenu, déplore-t-il.

Rendre à nouveau la garde obligatoire et rouvrir des lits d’aval

Pour répondre à la crise des urgences, Patrick Pelloux identifie deux solutions à prendre selon lui sans tarder : remettre la garde obligatoire et rouvrir des lits d’aval.
En effet, depuis 2003, et sur décision du ministre de la Santé de l’époque, Jean-François Mattei, les médecins généralistes sont autorisés à ne plus réaliser de gardes. Par conséquent, « tout le système a été déstabilisé » et « le code de déontologie a changé ».
Or, pour l’urgentiste, tous les médecins doivent revenir à leur cœur de métier :« un pourcentage considérable de médecins deviennent des administratifs. […] Ils ne voient plus de malade ». Or, chaque médecin devrait selon lui pratiquer « au moins une journée par semaine ou par mois », précisant en outre qu’« il suffirait de demander à tous les psychiatres […] d’assurer une ou deux gardes dans l’année pour garantir la permanence de soins ». La tension en psychiatrie en serait ainsi allégée.  
Pour ce qui est des lits d’aval, si on prend l’exemple d’un gros service d’urgence, « sur un taux de passage de 150 malades, il faudrait prévoir 15 à 30 lits dans la journée, dont la moitié en chirurgie » Pour ce qui est des personnes âgées, il faudrait créer des lits supplémentaires de gériatrie aiguë. « Évitons que les GIR 1 et GIR 2, les personnes en fin de vie, aillent aux urgences », conclue le spécialiste. 

Des urgences saturées 

Pour l’intervenant, « tous les dysfonctionnements médico-psycho-sociaux se retrouvent aux urgences ». Ce dernier pointe notamment le fait que de nombreux passages aux urgences pédiatriques concernent des certificats de sportalors même que ceux-ci ne sont plus nécessaires pour les mineurs.
En psychiatrie, « c’est un drame absolu », martèle-t-il, faisant notamment référence au manque de soignants. Et la situation n’est pas plus encourageante en gériatrie, où « l’activité […] flambe ».
Dans ce contexte, les médecins sont devenus « la variable d’ajustement de tous les dysfonctionnements […] et le SAS [service d’accès aux soins, NDLR] n’y changera rien », estime-t-il. En effet, cette réforme de François Braun, l’actuel ministre de la Santé et de la Prévention, qui consiste à proposer aux patients dont le médecin traitant serait indisponible un accès, à toute heure et à distance, à un professionnel de santé, ne peut selon lui pas fonctionner. « C’est un empilement de mesures », commente le médecin urgentiste qui est du reste opposé à l’appel systématique du 15 avant de se rendre aux urgences (dans le cas des circuits courts). 

Lutter contre l’hôpital-entreprise

La crise de l’hôpital public était prévisible : « On s’est battu contre la loi Bachelot, contre l’hôpital-entreprise, le directeur chef d’entreprise, les pôles, […] la tarification à l’activité », se remémore Patrick Pelloux.
Aujourd’hui, « 30 % de l’activité des médecins, c’est du codage », déplore le spécialiste qui parle alors d’« une génération tableau Excel ». 
Même le bloc opératoire est « globalisé » et le personnel est, lui aussi, devenu polyvalent : l’infirmier de bloc opératoire diplômé d’État (Ibode) est susceptible de faire « de l’orthopédie, du viscéral, de la gynéco, de l’ORL… », là où, auparavant, les gens se connaissaient et où il y avait de vraies habitudes d’équipe. La chirurgie publique a été « sacrifiée », elle « est partie dans le privé », constate-t-il avant d’expliquer qu’un patient qui arrive aux urgences avec une fracture ou un problème orthopédique sera « transféré vers les cliniques lucratives ». De fait, l’assistance publique est devenue selon lui« l’assistance publique aux hôpitaux privés ».

La e-santé et la téléconsultation ne sont pas la solution

Patrick Pelloux se dit aussi très réservé face au tout numérique. Il ne faut pas oublier qu’il existe en France une fracture numérique et territoriale, note-t-il. 
Quant à la téléconsultation, si elle peut fonctionner pour les patients chroniques, ce n’est pas le cas pour les soins aigus, précise-t-il, pour lesquels un médecin ne peut rédiger une ordonnance sans avoir examiné le patient. Le ministre veut faire passer un projet de loi pour que « les certificats de décès [soient] faits par des infirmières, je pense qu’il a tort », lance le spécialiste. Et d’ajouter : « Je pense que les médecins ont tort de laisser partir comme ça tout ou partie de la médecine »

Ne pas abandonner les personnes âgées

Au bout de la chaîne du soin, les personnes âgées « trinquent », regrette l’urgentiste, déplorant « l’abandon des personnes âgées », dans les Ehpad comme à leur domicile« Le plus grand meurtrier en France, c’est la retraite et la solitude, il faut les combattre ». 
Concernant le débat sur la fin de vie lancé par le président Emmanuel Macron en septembre dernier, Patrick Pelloux défend le recours au référendum et appelle à la prudence. 
Il existe en effet un véritable « business » du suicide assisté ; les patients vont en Belgique ou en Suisse pour mourir. « En France, on maintient aujourd’hui en vie des patients qui ont une sclérose latérale amyotrophique et qui n’en peuvent plus », regrette l’urgentiste. 
Sachant que chaque cas est un cas particulier, la décision devra être selon lui collégiale, avec la famille, le médecin et sûrement des barèmes scientifiques. Sans cela, Patrick Pelloux redoute une ingérence des religions, «or c’est la science qui doit décider ».

Un attachement viscéral à l’assistance publique 

Malgré tout, Patrick Pelloux reste vivement attaché à l’assistance publique. Il défend les valeurs de travail en commun et l’altruisme qui y règne : « quand elle tient debout, l’assistance publique est exceptionnelle », admet-il, se remémorant les réactions immédiates et autonomes des soignants, lors des attentats du 13 novembre 2015 : « En deux heures, le personnel est revenu de lui-même, et on a rouvert 80 blocs opératoires. »
L’assistance publique est « le vaisseau amiral de la flotte du système de santé en France, mais il est très, très malade ». 

Le rôle de la presse mutualiste pour une information vérifiée

Devant l’assistance formée par des acteurs de la presse mutualiste, Patrick Pelloux affirme le rôle primordial de l’information dans la société. La crise du Covid a démontré la nécessité de lutter contre la désinformation : « La presse mutualiste a un vrai rôle à jouer contre les fake news », estime le médecin urgentiste. On a besoin « d’une information vérifiée, avec un vrai travail de journaliste », reconnaît-il. Certes, la connaissance médicale a progressé dans la population, mais nombre d’informations fausses circulent. « Les réseaux sociaux sont des vecteurs de désinformation majeurs » qu’il faut combattre. Et de conclure : « L’information vérifiée est le combat des années à venir. »

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L'Association nationale de la #presse #mutualiste (@PresseMut) a invité, le vendredi 14 octobre 2022, @PatrickPelloux à participer à une table ronde sur « L'#hôpital en #crise ». Retrouvez la restitution de cet événement.

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