Samir Hamamah est chef de service au CHU de Montpellier, professeur de médecine et de biologie de la reproduction, président du Conseil national des universités en médecine et biologie de la reproduction et gynécologie médicale, et président de la Fédération française d’étude de la reproduction. Il est aussi le co-auteur, avec Salomé Berlioux, d’un rapport sur les causes de l’infertilité rendu au président de la République en février 2022, lequel a inspiré le Grand plan de lutte contre l’infertilité, annoncé le 16 janvier 2024.
Où en est l’infertilité aujourd’hui en France ?
Samir Hamamah. Tout d’abord, il faut préciser que l’infertilité, c’est l’incapacité de pouvoir procréer sans aide médicale. La hausse de l’infertilité résulte notamment du recul de l’âge à la maternité. Aujourd’hui en France, l’âge moyen du premier accouchement ne cesse d’augmenter : il est de 34 ans à Paris et 31 ans et 3 mois au niveau national. Il y a 30 ans, l’âge moyen était de 24 ans. Le recul du projet parental provoque ce que j’appelle l’infertilité sociétale. Or, les Français ignorent que la fertilité chute avec le temps. L’âge n’est donc pas un allié mais un ennemi pour la femme en âge de procréer.
Deuxièmement, les Français pensent que la fécondation in vitro (FIV) est une baguette magique, mais le taux de succès n’est que de l’ordre de 25 % par tentative. Et 40 % des couples quittent, après plusieurs échecs, le circuit de la FIV sans enfant.
Troisièmement, la prévention est la clé si on veut ralentir l’augmentation de l’infertilité dans les années à venir. Le tabac, l’alcool, les substances psychoactives, certains médicaments, la qualité de sommeil, le sport intensif, l’obésité, le stress… sont des facteurs de risque. Adopter une bonne hygiène de vie est donc capital. Pour cela, il faut mettre en place une véritable politique de prévention de l’infertilité.
La baisse de la fertilité touche-t-elle d’autres pays ?
S. H. L’infertilité augmente de 0,3 % par an chez l’homme et de 0,4 % chez la femme, partout dans le monde. Et cela a un impact sur la natalité. La dernière enquête, publiée au printemps 2024 dans le journal The Lancet, qui a été réalisée dans 204 pays, régions et territoires, montrait clairement que l’indice de fécondité – c’est-à-dire le nombre d’enfants par femme – était en baisse. Le seuil de renouvellement générationnel est de 2,1 enfants par femme. Mais à partir de 2060, nous allons entrer dans une « zone de turbulences » en matière de natalité.
Mais après tout, chacun est libre de faire ou ne pas faire d’enfants. Il ne s’agit pas d’être pronataliste, de culpabiliser ou de moraliser, mais de considérer que la diminution de la natalité a un impact sur notre société. Hier, on parlait de fermeture de classes. Aujourd’hui, on parle de fermeture d’écoles, voire de fermeture de maternités en Chine.
Le chef de l’État, dans son intervention du 16 janvier de cette année, a dit qu’il fallait considérer l’infertilité comme une priorité nationale en disant qu’il fallait « réarmer les familles ». Chacun fait ce qu’il veut de son corps, bien sûr. Mais au niveau d’un pays, la baisse de la natalité a des conséquences et peut mettre à mal le système de protection sociale, voire conduire à sa perte si nous ne faisons rien. D’autant que l’immigration ne la compense pas et que l’on vit de plus en plus vieux. Notre modèle est déstabilisé par ces changements. Tout est intrinsèquement lié.
Quelles sont les causes de l’infertilité ?
S. H. Il y a trois grandes catégories de causes de l’infertilité actuellement : les causes sociétales, que nous venons d’aborder, les causes environnementales et les causes médicales. Chez les femmes, ces dernières peuvent être d’origine mécanique (l’endométriose, par exemple) ou hormonale (syndrome des ovaires polykystiques). Chez l’homme, elles sont liées à des problèmes endocriniens ou testiculaires, ou encore à des lésions. Mais il y a aussi, dans 10 à 15 % des cas, une infertilité inexpliquée, ce que l’on appelle infertilité idiopathique, où les examens chez l’homme comme chez la femme sont normaux mais où il y a, malgré tout, des difficultés de conception.
Pour en revenir aux causes environnementales, quelles sont-elles ? Il y a tout d’abord les perturbateurs endocriniens. Ce sont des molécules qui vont parasiter votre système de régulation hormonale. Ils sont nombreux et on en retrouve dans l’eau, le sol et l’air : partout. Il y a aussi la pollution atmosphérique et les nanoparticules. Au quotidien, nous sommes exposés à des centaines de molécules. Et elles sont à l’origine d’une altération de la santé reproductive mais aussi de maladies cardiovasculaires, de cancers, du diabète de type 2, etc. Chez l’homme, cela a aussi pour conséquence d’engendrer une baisse quantitative et qualitative du sperme. On observe également une augmentation des cancers des testicules et du syndrome du micropénis. C’est pour cela, qu’en consultation, je demande aux patients si, dans un périmètre de 5 à 10 kilomètres autour de chez eux, il n’y a pas un centre de traitement de déchets, une usine de pétrochimie, une usine de cosmétologie ou de l’agriculture intense car toutes ces activités exposent à des polluants. C’est un vrai drame.
Comment s’en protéger ?
S. H. C’est très difficile car nous y sommes exposés tous les jours sans même le savoir. En ce qui concerne la cosmétologie par exemple, il y a des perturbateurs endocriniens dans le shampoing, le parfum, le fond de teint ou encore le rouge à lèvres et la population ne le sait pas. Dans mon rapport, j’ai donc demandé au gouvernement la création d’un logo « reprotoxique », dans le but de sensibiliser les consommateurs et de les aider à faire leur choix. L’objectif n’est, bien sûr, pas de culpabiliser ou de moraliser. Mais, au moins, la société remplirait son devoir d’informer et d’éduquer la population. La santé environnementale est intimement liée à la santé reproductive.
Dans votre rapport sur les causes d’infertilité, vous appelez à la création d’un institut national de la fertilité. Quel serait son rôle ?
S. H. Son objectif serait de rassembler toutes les forces, de coordonner et de dégager des priorités, à l’instar de ce que fait l’Institut national du cancer (Inca) dans son domaine. Ce magnifique institut est aujourd’hui cité comme exemple de réussite partout dans le monde. Nous avons besoin d’incarner les problématiques d’infertilité parce que c’est un drame pour les personnes qui n’arrivent pas à concevoir. Et c’est un vrai problème de santé publique. En France, 3,3 millions de personnes (hommes-femmes confondus) sont infertiles.
Cet institut permettrait aussi de mettre l’accent sur l’innovation, sur la recherche. Je me réjouis que l’État ait suivi l’un des six axes d’amélioration de mon rapport et ait alloué, dans le cadre des programmes de France 2030, 30 millions d’euros dans la recherche. Mais ce n’est pas assez, ce n’est qu’un début.
Vous insistez aussi sur l’importance de l’information.
S. H. Oui, il est nécessaire de sensibiliser. Il faut lancer une journée nationale de sensibilisation et de prévention de l’infertilité pour prendre le temps d’en expliquer les causes dès le plus jeune âge – au collège par exemple – et pour lutter contre les préjugés. L’infertilité est une pathologie comme les autres, ni plus, ni moins. Elle n’est pas honteuse ni taboue. Certes, c’est une maladie de l’intime, mais il ne faut pas avoir peur d’en parler.
Il faut aussi proposer, comme je l’ai indiqué dans mon rapport, une consultation longue, de trois quarts d’heure, durant laquelle chaque femme ou homme, à partir de l’âge de 29 ans, pourrait faire un point sur sa fertilité. Ensuite, une consultation préconceptionnelle, dont le but serait d’identifier les facteurs de risque avec chaque couple, est essentielle.
Quels conseils vous donneriez à un couple qui rencontre des difficultés pour avoir un enfant ?
S. H. Je lui indiquerais qu’il peut bénéficier d’une consultation préconceptionnelle – dont venons d’en parler – pour identifier les éventuelles causes d’infertilité. Ensuite, il doit consulter plus ou moins tôt, en fonction de l’âge de la femme. Si elle a moins de 35 ans et qu’elle n’est pas enceinte au bout de 12 mois, avec de rapports réguliers en l’absence de tout moyen contraceptif, il faut consulter. Si elle a plus de 35 ans, c’est après 6 mois d’essai, et si elle a 40 ans, mieux vaut prendre rendez-vous sans attendre. Il ne faut pas hésiter à consulter et à se faire accompagner.
À lire : Lutter contre l’infertilité, de Samir Hamamah et Salomé Berlioux, éditions de l’Aube, 208 pages, 23 euros.
Post Facebook : Pr Samir Hamamah : « Il faut mettre en place une véritable politique de prévention de l’infertilité » Découvrez l'interview passionnante du Pr Samir Hamamah,gynécologue, chef de service au CHU de Montpellier, professeur de médecine et de biologie de la reproduction et président de la Fédération française d’étude de la reproduction (FFER). Il tire la sonnette d'alarme sur un sujet de santé publique majeur : l'infertilité. Infertilité sociétale, causes environnementales, prévention : tous ces sujets sont abordés pour mieux comprendre pourquoi la fertilité baisse en France et dans le monde, et quelles actions sont à mener. À lire également : Lutter contre l'infertilité, co-écrit avec Salomé Berlioux, chez @editionsdelaube. Un ouvrage qui fait écho au rapport qu’ils ont remis au président de la République en 2022. #Prévention #Infertilité #Interview #PrSamirHamamah #SantéPublique
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