Décision médicale partagée : la relation patient-médecin bousculée

La décision médicale partagée, introduite dans les textes législatifs dès 2002, permet d’impliquer davantage les patients dans les choix qui concernent leur santé. Fondée sur le principe du respect de la personne, elle a aussi pour objectif d’améliorer la qualité et la sécurité des soins. Le concept a pourtant du mal à prendre sa place au cœur d’un système de santé français, encore marqué par le fantasme de la toute-puissance médicale.

Instituée par la loi du 4 mars 2002 sur l’information et le consentement du patient, la notion de décision médicale partagée introduit une nouvelle dimension dans la relation patient-médecin. Jusque-là construite sur un modèle vertical, où le médecin est l’expert qui informe le patient sur son état de santé et sur les traitements à mettre en place pour le guérir, cette relation se bâtit désormais selon un schéma plus horizontal. On passe du « consentement libre et éclairé », défini dans le Code de déontologie médicale (le patient doit donner son accord pour la mise en place du traitement établi par le médecin) à une sorte de « choix éclairé » (le patient et le médecin collaborent et prennent les décisions ensemble). Dans le détail, ce nouveau modèle s’articule autour de deux étapes clés : « l’échange d’informations et la délibération en vue d’une prise de décision acceptée d’un commun accord concernant la santé individuelle d’un patient », explique la Haute Autorité de santé (HAS) dans un état des lieux de 2013. Selon elle, la décision médicale partagée doit améliorer la participation des patients aux décisions qui les concernent et perfectionner ainsi la qualité et la sécurité des soins. Concrètement, il s’agit de proposer la prise en charge et les traitements « les plus appropriés tenant compte des données de la science, de l’expérience du professionnel et des attentes et des préférences des patients ».

Un modèle peu développé en France

Seulement voilà, quinze après son introduction dans les textes législatifs, la décision médicale partagée tarde à se mettre en place dans le système de soins français, que ce soit à l’hôpital ou en cabinet de ville. Selon une enquête internationale datant de 2011, seuls 37 % des Français se sentent intégrés dans les décisions médicales relatives à leur santé, contre 60 % des Suisses et 80 % des Australiens. Le constat est encore plus criant pour les pathologies chroniques : d’après une autre étude, menée par l’association Renaloo en 2016, un patient sur trois atteints d’insuffisance rénale estime « avoir peu ou pas participé au choix de son traitement ». Aux dires des médecins, ce phénomène s’expliquerait notamment par le manque de temps dont ils disposent pour s’entretenir avec leurs patients. Et, parmi ces derniers, certains ne souhaiteraient tout simplement pas s’engager dans un processus de décision partagée, préférant se reposer entièrement sur le corps médical.

Le patient invisible

Pour Martine Bungener, économiste et sociologue au CNRS, les raisons seraient en réalité plutôt culturelles : « L’essor d’une médecine technique, scientifique et hiérarchisée que l’on peut situer autour des années 1960 a contribué de manière involontaire à rendre le patient invisible et sa parole inaudible », expliquait-elle en novembre 2016, lors d’un colloque de la HAS. Parce que le médecin reste un savant situé au-dessus du patient profane, tout choix laissé à ce dernier est associé à une prise de risque. « Le fantasme de la toute-puissance médicale persiste dans notre pays, ajoute Catherine Cerisey, membre du comité de pilotage de l’association Cancer contribution. Il faut absolument changer nos cultures pour favoriser l’échange d’informations, le partage et la délibération. » Pour aller dans ce sens, la Haute Autorité de santé développe différents outils (papier, vidéo, multimédia interactif) destinés à aider les patients et les professionnels de santé dans leur prise de décision partagée, en particulier pour la mise en place d’une contraception (voir sur https://lc.cx/WFBu).

La solution passera aussi, sans doute, par une meilleure formation des médecins. Certaines facultés l’ont déjà compris, à l’image de celle de Bobigny, qui intègre une quinzaine de « patients-enseignants » à la liste de ses professeurs. Parmi leurs missions : sensibiliser les futurs soignants aux attentes des patients vis-à-vis de la décision médicale.

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