Charlotte Tourmente, médecin généraliste et journaliste médical : « On peut être heureux malgré la SEP »

Dans son livre Sclérose en plaques et talons aiguilles, Charlotte Tourmente partage son expérience de la maladie dont elle souffre depuis vingt-deux ans. Avec optimisme et enthousiasme, la jeune femme raconte comment, à force de courage et de détermination, elle a appris à vivre avec l’épuisement chronique, les douleurs et les frustrations propres à cette pathologie auto-immune encore mal connue du grand public.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre ?

Pour plusieurs raisons. Déjà, je trouve qu’on ne parle pas assez de cette maladie alors que c’est pourtant un véritable problème de santé publique : d’après les derniers chiffres, la sclérose en plaques (SEP) concernerait tout de même 110 à 117 000 patients aujourd’hui en France. Il y a encore beaucoup d’idées reçues à son sujet : on pense souvent que le fauteuil roulant est inéluctable, que la SEP empêche de mener à bien une grossesse ou encore qu’elle est incompatible avec la féminité. Tout cela est faux. Je souhaitais donc faire un point sur ce que c’est vraiment de vivre au quotidien avec une sclérose en plaques.

Et puis surtout, je voulais montrer aux patients que malgré la maladie, on peut être heureux, mener à bien des projets et les réussir. Cela nécessite évidemment des adaptations, c’est plus ou moins facile selon les symptômes et le degré de handicap, mais c’est possible. Avec ce livre, mon but était vraiment d’insuffler de l’espoir et de l’optimisme.

Vous expliquez longuement que les symptômes invisibles, très fréquents avec cette maladie, sont à la fois une bénédiction et une plaie, c’est-à-dire ?

Ces symptômes sont une bénédiction puisque, dans une société totalement axée sur le paraître, il est malheureusement préférable d’avoir une apparence « normale », de ne pas se démarquer par un fauteuil ou une canne, bref, de bien rentrer dans les cases ! Après vingt-deux ans de maladie, je mesure ma chance que rien ne se voit. Mais ce n’est pas pour autant que ces symptômes invisibles n’ont pas un retentissement majeur sur ma vie quotidienne. J’ai dû modifier mes envies, mes attentes, mes projets, renoncer à l’exercice de la médecine et réfléchir à une profession mieux adaptée parce que je souffre énormément de fatigabilité. Cette fatigue est terrible, je la compare souvent à celle de la grippe. Il y a donc un épuisement chronique sur lequel se rajoutent encore des pics de fatigue supplémentaires, imprévisibles, fluctuants : ça vous tombe dessus d’un coup. Dans ces cas-là je n’ai qu’une envie, c’est de rester sur mon canapé ou de retourner sous la couette. J’ai aussi beaucoup de douleurs, surtout dans les membres inférieurs. Lorsque je suis debout plus de dix minutes, j’ai comme un étau autour des jambes qui se resserre jusqu’à devenir insupportable. J’avale six comprimés par jour et je souffre encore quotidiennement. Il faut donc composer avec tout ça, modifier sa façon de vivre, s’adapter. Par exemple, je viens de passer un mois en montagne et les grandes randonnées, c’est fini pour moi. Mais malgré ça, j’ai de la chance parce que je peux encore être debout et marcher un peu. Selon les jours, je peux marcher vingt, trente voire quarante minutes. C’est énorme : ça me permet d’être autonome, indépendante, sans aide technique.

Vous le dites, le fait que ces symptômes ne se voient pas pose aussi des problèmes de compréhension avec l’entourage …

Tout à fait. Cela pose problème aussi bien avec la famille, les amis, que les collaborateurs. Et même au supermarché ! Après une demi-heure de courses, j’ai évidemment très mal aux jambes et si je vois une file de dix personnes à la caisse, je sors ma carte d’invalidité pour passer en priorité et là les gens me regardent d’une drôle de façon ! Ils sont outrés et je peux les comprendre : j’ai l’air en pleine forme. Même au supermarché en fait, il faudrait prendre le temps d’informer, de parler du handicap invisible. C’est pareil avec les proches : ils ne comprennent pas pourquoi vous annulez un dîner une, deux, trois fois… Parce que ce jour-là, ça ne va pas, je n’ai pas la force de sortir ou je souffre trop. J’ai juste besoin de me reposer et je me sentirai mieux le lendemain. Comme mes symptômes ne se voient pas, je suis obligée de toujours expliquer comment je me sens, pour quelles raisons je vais reporter une activité. Au final, je me suis rendu compte que la communication était le seul moyen d’assainir les relations, d’éviter les malentendus et de rassurer mes proches. C’est un enseignement particulièrement intéressant d’ailleurs : maintenant je communique sur ma maladie mais, surtout, dans tous les domaines de ma vie. Je trouve que cela facilite vraiment les relations !

Il y a aussi une autre particularité dans la SEP, c’est l’imprévisibilité. Vous expliquez vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, comment fait-on pour composer avec ça ?

En fait, il y a deux types d’imprévisibilité. L’imprévisibilité à long terme : on ne sait pas du tout quand surviendra une poussée, c’est-à-dire une crise avec des symptômes (par exemple des vertiges, une diplopie voire une aphasie et/ou des paralysies). Je précise qu’il existe deux formes de SEP : celle avec poussées (dont je souffre), qui concerne 85 % des patients et qui se manifeste donc par des crises dont les symptômes régressent plus ou moins (et qui peuvent laisser des séquelles), et la forme progressive avec un handicap qui augmente au fil des années.

En vivant avec cette épée de Damoclès, dans le sens où je ne sais pas du tout dans quel état physique je serai dans dix, vingt ou trente ans, j’ai appris à profiter pleinement du présent et à multiplier tous les moments positifs qui me font du bien. Cela fait vingt-deux ans que je pratique la psychologie positive, je fais également de la méditation et du yoga, je me ressource aussi énormément auprès de mes proches et je ris beaucoup avec eux. Cette façon de vivre me permet de me détacher de cette imprévisibilité et de cette angoisse.

Le deuxième type d’imprévisibilité, c’est l’imprévisibilité au jour le jour. Je ne sais jamais dans quelle forme je serai tel ou tel jour, dans une semaine ou dans un mois. Mais je continue quand même à faire des projets, j’ai appris à connaître mon corps et à le gérer : par exemple, je ne charge pas trop mon agenda, je prévois des temps de repos après chaque activité, je veille à mon hygiène de vie…

Vous vous appuyez aussi beaucoup sur votre féminité, en quoi vous est-elle utile ?

L’analyse est faite a posteriori. J’ai d’abord constaté grâce à d’autres patients que le sport et l’activité artistique pouvaient permettre de se dépasser et de mieux vivre la maladie. Or, je ne suis ni sportive ni artiste. En revanche, j’ai réalisé que prendre soin de moi, me maquiller, bien m’habiller, mettre en valeur ma féminité, tout cela me faisait vraiment plaisir. Et finalement, ça me permet de ne pas laisser la maladie gagner sur ce que je suis : une femme, avant d’être une patiente. Quand je prends soin de mon apparence, ça me sert de tuteur et ça me permet de prendre soin de mon esprit et de ne pas me laisser aller. Mais il m’arrive aussi de traîner en pyjama le dimanche, la féminité n’est pas une tyrannie !

Print ou web ?
Faites-nous savoir sur quel support vous diffusez nos articles. Une minute suffit.

J’y vais !


Les visuels (photos, infographies, etc.) fournis par la Ciem doivent être utilisés uniquement pour illustrer les articles de France Mutualité.
Il est strictement interdit d’utiliser l’un des visuels dans un autre cadre.